« C’ÉTAIT COOL CE RECRUTEMENT ! »

TRANFO_ARTICLE CAS PRATIQUE RECRUTEMENT

CO-CONSTRUCTION D’UNE VISION EXPRESS

…et si on impliquait les futurs collègues (et pas forcément que les supérieurs) dans le recrutement ?

…et si on incluait dans le jury un “candide” (tiré au sort pour apporter un regard différent)?

…et si on réinventait la rencontre lors du recrutement (en petit comité, autour d’un café, en marchant, etc.) ?

…et si on permettait la variété de formes dans les candidatures (site ; CV vidéo ; book projet…) ?

…et si on gardait une certaine ouverture dans la fiche de poste (un projet non identifié lors du recrutement mais d’intérêt général) pour laisser de la flexibilité au candidat ?

…et si on faisait des recommandations aux candidats non retenus pour réussir leurs futurs recrutements ?

 

Et si… on réinventait les modalités de recrutement des agents de la MEL. C’est ce que se proposait de faire le troisième cas pratique de la TRANSFO[1], le processus de co-design d’un labo d’innovation publique en cours à la Métropole Européenne de Lille. Tout au moins ce cas pratique entend organiser un exercice de “co-construction de visions d’évolutions des métiers du recrutement de la MEL”. Un cas pratique éclair sur 3 journées pour mettre ce sujet en chantier entre agents du Service de recrutement et ambassadeurs de la TRANSFO.

 

Mais tout d’abord pourquoi ce sujet et pourquoi l’aborder ainsi ?

Le Service recrutement de la MEL entamait un processus de restructuration alors que la TRANSFO débutait dans le but de créer à la MEL un labo de design des politiques publiques : l’hypothèse d’une forme de collaboration entre les deux semblait donc tout indiquée pour la Direction générale de la MEL !

L’approche prospective proposée vise à sortir des contingences et des tensions du présent et de la restructuration en cours, de lever le nez du guidon pour explorer les différentes options futures.

Le fait de travailler sur leur propre métier permet à l’équipe recrutement de la MEL de se construire une vision partagée des enjeux avenirs à partir de laquelle interroger ses propres pratiques et déduire l’évolution de ses outils.

L’équipe de recrutement est à la fois objet et partie prenante de l’exercice facilitant l’obtention d’un premier niveau de résultat dans le temps très court imparti.

Enfin, une auto-expérimentation témoigne d’une posture ouverte envers les autres métiers de la MEL en explorant sur soi-même les nouveaux modes de travail de la réorganisation en cours.

 

ESQUISSE D’UNE VISION EXPRESS…

 

Quelles sont les problématiques qui émergent de cette brève exploration des futurs du recrutement à la MEL ? Les participants à l’exercice ont isolé 9 polarités jugées critiques sans prétention d’exhaustivité ou de hiérarchisation. Elles combinent à la fois des questions macro auxquelles se heurtent probablement toutes les collectivités avec des questions locales spécifiques à la MEL. Enfin elles représentent un mix de problèmes effectifs identifiés, d’opportunités à saisir et de craintes à déjouer.

 

  • Enjeu #1 : Tout humain ou tout machine ? Comment construire un scénario de complémentarité entre recruteurs et algorithmes ?
  • Enjeu #2 : Avec nous ou sans nous ? Comment construire un scénario de recrutement à la carte avec plus ou moins d’assistance du service recrutement ?
  • Enjeu #3 : Pêcheur ou chasseur ? Comment construire un scénario combinant le recrutement passif par publication d’annonces et le recrutement actif type chasseur de tête ?
  • Enjeu #4 : Sur poste ou en pépinière ? Comment construire un scénario combinant un recrutement pour pouvoir des postes spécifiques avec l’entretien d’une pépinière de candidats ?
  • Enjeu #5 : CV classique ou multimédia ? Comment construire un scénario laissant le choix au candidat et au recruteur entre les meilleurs supports de recrutement (texte, vidéo, présentiel, confcall, etc.) ?
  • Enjeu #6 : Évolution du statut ? Comment construire un scénario qui définirait un statut plus souple permettant plus de flexibilité ?
  • Enjeu #7 : Mieux et plus rapide ? Comment construire un scénario revisitant le processus de recrutement en le simplifiant et l’accélérant au maximum ?
  • Enjeu #8 : Prévision ou résilience ? Comment le recrutement anticipe l’avenir entre Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences et développement de la réactivité du recrutement ?
  • Enjeu #9 : Diversifier les techniques de recrutement ? Comment construire un scénario permettant de changer la façon dont les entretiens sont menés (choix candidats, diversification profils, etc.) ?

 

Et maintenant quelle est la vision qui émerge en combinant tout ou partie de ces défis et opportunités ?

 

UN DIALOGUE MULTICANAL

Des modalités de recrutement ouvertes doivent laisser le choix aux candidat.e.s pour exprimer au mieux leurs propres qualités. Les modalités de présentation sont multiples d’un book projet complet à un simple tweet percutant, d’un vidéo-message expressif à la présentation d’un prix ou d’une distinction sans pour autant exclure la voix classique du CV papier.

Une fois un accord trouvé entre recruteur.trice et recruté.e sur les meilleurs canaux d’interaction pour communiquer en ligne ou en présentiel, en image ou par écrit, ce sont aussi les modalités de validation des compétences qui sont renouvelées : « l’immersion » pour permettre au candidat de démontrer ses aptitudes sur le terrain ; la « mise en situation collective » pour juger sur pièce des capacités de collaboration sur une problématique donnée ; un « défi hors cadre » pour encourager les pas de côté ; mais aussi une note à la manière d’un rapport d’étonnement ; un entretien informel autour d’un café ; etc.

 

 

UN RECRUTEMENT AUGMENTE

Le numérique affecte tous les processus métier et l’enjeux pour le recrutement comme pour les autres secteurs est de garantir une complémentarité fructueuse entre l’humain et la machine.

Un Service de recrutement augmenté c’est d’abord un élargissement du bassin de chalandise et la constitution d’une “CV-thèque” soit un réseau de candidatures inter-collectivités. Avant toute candidature à proprement parler, les agents y précisent leurs profils, décrivent leurs compétences et déposent tout ce qui pourrait les rendre visible et les mettre en valeur.

Pour naviguer dans ce vivier multimédia, les Services recrutement des collectivités ont recours à des processus de présélection assistés : ciblage de profils, classification automatique parmi les candidatures, analyse lexicale des contenus ouverts, etc.

Soulagés par cette présélection portant sur un plus large échantillon, le Service recrutement peu consacrer plus de temps à l’humain qui fait toute sa valeur ajoutée.

 

UNE GARANTIE DE DELAIS

En théorie le processus de recrutement demande des délais raisonnables mais en pratique les expériences des uns et des autres font état de postes laissés vacants sur de longues périodes nuisant au bon fonctionnement de toute l’institution.

Anticiper les besoins à l’avance permettrait de déclencher le processus pour un recrutement “juste à temps” : un départ en retraite, un congé maternité, une évolution des besoins dans un métier déclenchent des “alertes recrutement” et réduisent les aléas et les impondérables.

Également plutôt que d’imaginer une procédure progressive validée à chaque étape le processus de recrutement se déroule selon un rythme préétabli mais qui peut à tout moment être arrêté. Ce fonctionnement “par défaut” permet de se concentrer sur les difficultés sans retarder les recrutements qui se passent bien. Le Service recrutement est allégé des tâches de validation, la hiérarchie n’a besoin d’intervenir que sur les cas qui poseraient problème.

 

UN SERVICE RECRUTEMENT A LA CARTE

Tous les recrutements n’ont pas les mêmes enjeux et ne nécessitent pas une même implication des professionnels du recrutement qui diversifient leurs services pour plus de qualité et moins de temps passé.

En amont le service recrutement sensibilise aux enjeux et méthodes : par exemple, apprécier toutes les dimensions de la personne au-delà des compétences spécifiques attendues ; rester dans le cadre de la réglementation sans pour autant s’autocensurer ; se concentrer sur les besoins d’aujourd’hui tout en anticipant comment l’agent pourra évoluer dans l’institution demain ; etc. Progressivement les managers recrutant.e.s peuvent acquérir un certain niveau d’autonomie : formation, coaching, conduite accompagnée, autonomie plus ou moins forte selon les enjeux de chaque recrutement et un service recrutement à la carte : un “Package Liberté”pour des profils connus, des enjeux maitrisés, un recrutement interne ou des postes récurrents mais toujours une assistance du Service recrutement aux étapes critiques ou de validation ; un “Package Zen”un service complet sur des profils plus complexes, des enjeux plus importants ou des managers recrutant qui souhaitent une assistance continue du Service recrutement ; enfin un “Package Platinium”pour des profil très ciblés, des enjeux stratégiques, un recrutement en tension et pro-actif.

 

MARATHON “BACKCASTING”

 

En pratique quelles sont les grandes étapes de ce « marathon- prospective » ? Pour le processus de la TRANSFO l’objectif méthodologique est de tester l’approche projective (visioning) en l’adaptant pour en faire une approche légère et agile. Dans la panoplie des outils d’exploration du futur, la démarche ne prétend pas cerner l’avenir probable ou pondérer ses probabilités d’occurrence. Elle se veut plus proche du“backcasting”soit imaginer un avenir possible et souhaitable pour ensuite “retro-pédaler” afin de déterminer les étapes qui permettraient son avènement.

 

ÉCOUTER LA PROBLEMATIQUE RACONTEE SELON DIFFERENTS POINTS DE VUE

Le rendez-vous est pris pour la fin de matinée avec toute l’équipe recrutement. Le premier objectif est de les écouter, de leur faire raconter leur métier et pour les ambassadeurs de la TRANSFO de se faire une idée des enjeux de ce métier au-delà des premières impressions qu’ils n’ont pas manqué de conserver de l’expérience de leur propre recrutement à la MEL ou ailleurs… Les différents agents du recrutement qui représentent différents métiers (gestion des dossiers, psychologues, encadrement, etc.) sont écoutés en petits groupes pour faciliter la parole au-delà des enjeux de hiérarchie et de compétences métiers. Une série de cartes-question structurent les discussions à chaque table : Quelle est l’organisation actuelle ? Est-ce que vous tenez un CV-thèque ? Avez-vous des retours des candidats ? Quelles sont les besoins de recrutement dans les années à venir ? Est-ce que vos missions ont évolué ? Etc.

 

TENTER DIFFERENTES SYNTHESES POUR CONSTRUIRE UNE VISION PARTAGEE

Les ambassadeurs de la TRANSFO prennent leurs notes sur des cartes également en essayant de distinguer si chaque information récoltée représente plutôt une « tendance lourde », une « discontinuité » ou un « fait porteur d’avenir. Au-delà d’un véritable processus de prospective, on cherche ici à co-construire l’environnement stratégique de la fonction recrutement en croisant la part de futur portée par chaque participant.e.

Les ambassadeurs disposent les informations glanées le matin sur une grande carte distinguant horizontalement si chaque point est pertinent à court terme (2020) ou long terme (2030) et verticalement s’il s’agit d’une variable endogène à l’institution ou si elle est plutôt exogène. Chaque sous-groupe apporte son lot de cartes parfois convergentes parfois contradictoires. Les cartes se déplacent. Des regroupements se forment. Des hypothèses sur les enjeux futurs du métier de recrutement émergent au nombre de 9 cités in extensoplus avant dans l’article.

 

 

CO-CONSTRUCTION DE SCENARIOS ENTRE ACTEURS INTERNES ET EXTERNES

Les 9 enjeux saillants sont restitués aux agents du service recrutement réunis pour une nouvelle matinée de travail avec les ambassadeurs. Les mêmes sous-groupes reconstitués se saisissent chacun d’un enjeu qui leur parle plus particulièrement et qu’ils se proposent d’approfondir sous forme de proto-scénarios : sur un format préparé ils en listent les points-clés : quelles sont les relations avec le service recrutement ? Quels nouveaux outils sont nécessaires ? Qu’est-ce que ça change dans les approches et les pratiques du métier ? Etc.

Ils repèrent aussi les références sur lesquelles s’appuie le scénario : en quoi est-ce qu’il s’inscrit dans des tendances lourdes ? Est-ce qu’il répond à une forme de discontinuité ? Ou est-ce qu’il développe un fait porteur d’avenir ? Etc.

 

Pour nourrir ces proto-scénario toutes les idées échangées depuis le début du cas pratique ont été scrupuleusement notées et regroupées dans un « carnet-outil de créativité » à disposition de chaque sous-groupe pour aider à inventer l’avenir :

_ …et si on proposait un sujet de recrutement à plusieurs candidats ensemble ?

_ …et si on créait un simulateur de métier type MEL Academy ?

_ …et si on créait un “village-emploi” porté par les grands formateurs ?

_ …et si on constituait un collectif d’employeurs publics ?

_ …et si on faisait des entretiens en marchant ?

_ …et si on formait les managers pour qu’ils coopèrent avec les RH ?

_ etc.

 

AFFINAGE PROGRESSIF DES SCENARIOS ET ARTICULATION D’UNE VISION GLOBALE

Au total 5 proto-scénarios sont présentés sous forme d’une narration racontée à la première personne et capturée sous la forme d’une courte séquence vidéo

Les films-synthèse sont re-visonnés à tête reposée par le service recrutement qui reprécise à quelles questions finalement le scénario répond, formule la vision sous-jacente et les idées qui semblent actionnables.

Au sortir du troisième et dernier jour de ce cas pratique-marathon, deux types de livrables sont élaborés :

_ les 5 scénarios creusés et exprimés sous la forme d’une infographie animée proposent des innovations dans le processus et les modalités de recrutement. Pour chaque scénario un diagramme ancre concrètement l’innovation dans les procédures, les dispositifs, l’organigramme etc. de la MEL. L’animation brève de 2-3 minutes commente l’innovation à la manière d’une communication institutionnelle insiste sur la dimension opérationnelle.

_ une vision articulant les 5 scénarios et présentée au chapitre précédent restitue l’intelligence globale de l’exercice et l’hypothèse d’évolution qu’elle représente au sein de la gouvernance de la MEL.

 

L’AVENIR COMME TERRAIN NEUTRE ET OUVERT

 

Qu’est-ce que l’on peut tirer d’une telle approche de « projection collaborative minute » ? On entend déjà s’élever les voix des puristes de la prospective : comment peut-on prétendre explorer l’avenir sans un solide inventaire des variables, une étude de leurs interactions potentielles et la construction d’un bouquet de scenarios contrastés ? Et au-delà des voix de la prospective on entend aussi les protestations des experts de la conduite du changement pour qui tout processus de transformation requière un projet global d’organisation désirable et solide au sein duquel définir une place pour chacun.

Toutes ces critiques sont parfaitement justes et entendables. Néanmoins, l’approche de « projection collective minute » nous semble présenter quelques avantages qui la rendent utile et légitime.

 

BOTTER EN TOUCHE

Quand un projet fait l’objet de trop d’injonctions et quand ces injonctions tendent à être contradictoires le futur représente une échappatoire. Il ne s’agit pas tant d’éviter le problème que d’éviter l’écrasement entre plusieurs forces tectoniques. Dans le cas qui nous intéresse, co-construire des visions d’avenir permet de sortir des tensions du présent pour inventer collectivement, d’inviter les commanditaires du changement, les agents en transformations, les parties prenantes du processus à sortir de la négociation à somme nulle pour explorer parmi les multiples scénarios d’avenir lesquels permettent de construire la convergence

 

SE REAPPROPRIER L’AVENIR

Le futur est trop souvent admis comme un terrain d’expertise ou un objet de prise de décision. L’enjeu est ici pour chaque métier et pour chaque agent qui l’exerce de se réapproprier la discussion entre le probable et le possible, le tendanciel et le souhaitable. Former des scénarios oblige à s’intéresser à ce qui est en train d’advenir dans son secteur, à en explorer les alentours pour détecter les risques et les opportunités, et enfin à se former des visions désirables et atteignables. Ce travail est certes complexe mais ce n’est pas une raison pour le déclarer impossible : mieux vaut un exercice rapide comme celui conduit ici sur le recrutement pour commencer à rendre l’avenir tangible et à le discuter. Aussi imparfait qu’il soit, il est préférable à se résoudre à naviguer à vue sous prétexte que la carte exacte de l’avenir est inatteignable…

[1]La 27eRégion conduit des programmes de « recherche-action » visant à tester de nouvelles méthodes d’innovation avec les acteurs publicset basés sur la pluridisciplinarité, sur des compétences issues du design et de la conception créative, des sciences sociales ou encore des pratiques amateurs et sur l’expérience vécue par les utilisateurs, agents et citoyens, comme un point de départ pour réinterroger les politiques publiques.www.la27eregion.fr